L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

Nina van Gorkom

Cet ouvrage est la traduction du livre

« Abhidhamma in Daily Life » écrit par Nina van Gorkom

et publié aux éditions Zolag à Londres en 2010.

Alan Wenner des éditions Zolag a autorisé la publication de cette traduction française.

De nombreux autres textes en langue anglaise peuvent être consultés sur www.zolag.co.uk ou www.scribd.com (recherche : zolag).

Première de couverture: vitakka-muddaä, le geste symbolique de l’explication du Dhamma. (Photo : Christian Galliou)

Remerciements

Avec ma plus grande gratitude à Nina van Gorkom pour avoir écrit ce texte rare et précieux. Mes remerciements à Alan Wenner pour avoir autorisé sa publication en français.

Et un merci paticulier à Marie-Noëlle pour la relecture du livre et pour son aide bienveillante pendant toute la durée de sa traduction.

Table des matières

Préface tnniens hrs nt te tt nt de le nn na lus ee 9 1 Les quatre paramattha dhammas (phénomènes ultimes) 15 2 Les cinq khandhas (groupes d’existence) 29 3 Les différents aspects des cittas (des consciences) 41 4 La caractéristique de lobha (de l’avidité) 53 5 Les différents degrés de Iobha 65 6 La caractéristique de dosa (de la colère)... 75 4 L'ignorance.:rat. ins Te nt nn nd ete 87 8 Les ahetuka cittas (Les consciences sans racines) 99 9 Les ahetuka cittas inconnaissables dans la vie quotidienne... 109 10 Le premier citta dans la vie... 121 11 Les différentes sortes de consciences de naissance 133 12 La fonction de bhavanga (life-continuum) 147 13 Les fonctions des cittas........................................................... 159 14 La fonction de javana (de répétition et d’impulsion)..................... 171

15 Fonctions de tadärammana et de cuti (d’enregistrement et de mort)183

16:Objets ét portes 2e. Me rte reel ire. 195 17 Portes et bases matérielles des cittas 207 IS Lés'éléments 5.2 ea net nn e, 219 19 Sobhana cittas dans notre vie (consciences élevées). 229 20 Les: plans d'éxistence:i...ssrnnesns attenant 245 21 Le samatha (La concentration de tranquillité)... 257 22 Les jhänacittas (Les consciences d’absorption) 275

23 Les lokuttara cittas (Les consciences de compréhension supramondaine) . 293 24 1iMumimation stress ne ninen de tete 309 GIOSSAITR:. ee ne Re eee Re nt el Ne ne 323

À ESA ER 337

Livres écrits par Nina van Gorkom

Livres traduits par Nina van Gorkom

Préface

Les enseignements du Bouddha sont contenus dans le « Tipitaka » (Les Trois Corbeilles), constitué du Vinaya (Le Livre de la Discipline pour les moines), du Suttanta (Les Discours) et de l’Abhidhamma. Chacune de ces parties du Tipitaka est une source inépuisable d'inspiration et d'encouragement pour progresser dans la compréhension profonde des réalités. Cette progression aboutira à l’éradication des croyances erronées et des autres souillures psychiques. Les trois parties du Tipitaka sont un enseignement sur tous les phénomènes (sur tous les dhammas) c’est-à-dire sur toute chose réelle. Une vision est un phénomène (un dhamma), c’est une réalité. Une couleur est un phénomène, c’est une réalité. Un ressenti est un phénomène, c’est une réalité. Nos souillures psychiques sont des phénomènes (des dhammas), ce sont des réalités.

Lorsque le Bouddha réalisa l’illumination, il eut une connaissance claire de tous les phénomènes tels qu’ils sont en réalité. Il nous a enseigné le Dhamma, l'Enseignement qui traite des réalités afin que nous puissions nous aussi comprendre les phénomènes tels qu’ils sont. Sans l’enseignement du Bouddha, nous ignorerions la réalité. Nous sommes enclins à prendre pour permanent ce qui est impermanent et fugace, pour agréable ce qui est douloureux et insatisfaisant (dukkha), et pour « moi » ce qui est dénué de « moi », d’entité-ego. Le but des trois parties du Tipitaka est de nous enseigner le moyen de progresser dans la voie qui aboutit à l’éradication des souillures psychiques.

Le Vinaya contient les règles pour les moines et ces règles les aident à se perfectionner dans la «vie sainte » afin de réaliser « ce but inégalé de la vie sainte, la réalisation par nous-mêmes de la connaissance dans cette vie même ; pour le bien de ceux qui vivent en famille et qui, pour un motif juste, quittent leur maison pour vivre la vie des “sans-demeure”.…. » (Énonciations Graduelles, Livre des cinq, chapitre VI, paragraphe 6, Le Précepteur.) Le but de la « vie sainte » est l’éradication des souillures psychiques. Les moines ne devraient pas être les seuls à étudier le Vinaya, les laïcs devraient le faire

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également. Nous lisons à ce sujet qu’il arrivait aux moines de s’écarter de leur pureté de vie; dans ce cas, on édictait une nouvelle règle afin de les aider à rester vigilants. Quand nous lisons le Vinaya, nous sommes ramenés à notre propre avidité (lobha), à notre colère (dosa) et à notre ignorance (moha); ce sont des réalités. Tant que ces dernières n’auront pas été éradiquées, elles peuvent se manifester à tout moment. Il nous est ainsi rappelé à quel point ces souillures psychiques sont profondément enracinées et vers quoi elles peuvent nous entraîner. Quand nous réfléchissons à cela, nous sommes motivés pour progresser sur le Chemin Octuple qui mène à l’éradication des croyances erronées, de la jalousie, de l’avarice, de la vanité et de toutes les autres souillures psychiques.

Dans le Suttanta, les «Discours », l’Enseignement (le Dhamma) est expliqué à différentes personnes, en différents lieux et en diverses occasions. Le Bouddha a enseigné au sujet de tous les phénomènes, de toutes les réalités qui se manifestent par les « six portes », celle des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du système somatosensoriel et enfin celle du psychisme. Il a enseigné la loi de la cause et de l’effet et la pratique menant à la fin de toute souffrance.

En ce qui concerne l’Abhidhamma, il s’agit d’un exposé détaillé sur tous les phénomènes, toutes les réalités. Le préfixe « Abhi » est utilisé ici dans le sens de « prépondérance » ou de « distinction ». « Abhidhamma » signifie « L’Enseignement (le Dhamma) supérieur » ou « L’Enseignement expliqué en détail ». La forme de cette partie du Tipitaka est différente, mais le but est le même: l’éradication des croyances erronées et, finalement, de toutes les souillures psychiques. Lorsque nous étudions les nombreuses énumérations des réalités, des phénomènes, nous ne devons pas oublier le but réel de notre étude. La théorie (pariyatti) doit nous encourager à la pratique (patipatti) qui est nécessaire pour réaliser la vérité (pativedha). Au moment même nous étudions les différents phénomènes psychiques (nämas) et les différents phénomènes matériels (räpas) et que nous y réfléchissons, nous pouvons être attentifs à ce phénomène psychique ou à ce phénomène matériel qui apparaît en cet instant même. De cette façon, nous découvrirons

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Préface

de plus en plus que l’Abhidhamma explique tout ce qui est réel, c’est-à-dire les « mondes » qui apparaissent par les cinq portes des sens et par celle du psychisme.

Ce livre est une introduction à l’étude de l’Abhidhamma. Afin d’en comprendre le contenu, il est nécessaire d’avoir une connaissance de base du bouddhisme. Mon livre, The Buddha’s Path, peut se révéler utile au lecteur pour qu’il se familiarise avec les fondements et les principes essentiels du bouddhisme avant d’entamer la lecture de ce livre.

J'utilise des termes en päli, la langue originale des Écritures de la tradition ancienne du Theraväda. Les mots anglais utilisés pour traduire les termes palis sont souvent impropres du fait qu’ils sont issus de la philosophie et de la psychologie occidentales et qu’ils suggèrent donc un sens différent de celui entendu dans les enseignements bouddhistes. J’espère que le lecteur, au lieu d’être découragé par les termes pälis et les nombreuses énumérations utilisées dans ce livre, sera de plus en plus intéressé par la découverte des réalités qui se manifestent en lui-même et autour de lui.

Madame Sujin Boriharnwanaket m’a été d’une aide et d’une inspiration inestimables dans mon étude de l’Abhidhamma. Elle m'a encouragée à constater par moi-même que l’Abhidhamma traite des réalités vécues par les cinq sens et par le psychisme. J’ai ainsi appris que l’étude de l’Abhidhamma est un processus qui se poursuit tout au long de la vie. J’espère que le lecteur connaîtra une expérience similaire et qu’il sera rempli d’enthousiasme et de joie chaque fois qu’il étudiera les réalités dont il fait l’expérience !

Je cite à plusieurs reprises les Discours (les suttas) pour montrer que l’enseignement contenu dans l’Abhidhamma n’est pas différent de celui exposé dans les deux autres parties du Tipitaka (La collection en trois parties des Écritures bouddhiques, «Les Trois Corbeilles »). J’ai principalement utilisé la traduction anglaise de la Päli Text Society (Translation series). Pour les citations du Visuddhimagga (Le Chemin de la Purification), J'ai choisi la traduction anglaise de Bhikkhu Nänamoli (Colombo, Sri Lanka, 1964). Le Visuddhimagga est une encyclopédie sur le bouddhisme écrite par le commentateur

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Buddhaghosa au cinquième siècle apr. J.-C. Bhikkhu Nänamoli a aussi publié les commentaires de la plupart des parties du Tipitaka, fondant ses travaux sur des commentaires plus anciens de la tradition.

L’Abhidhamma est composé des sept livres suivants! :

e Dhammasangani (Psychologie Moralité bouddhiste) Vibhañga (Livre d’analyses)

Dhätukathä (Discussion sur les éléments) Puggalapaññatti (Classification des types humains) Kathävatthu (Points de controverses)

Yamaka (Livre des paires)

Patthana (Relations conditionnées)

Quand j’ai commencé à écrire ce livre, mes sources étaient le Visuddhimagga et l’Atthasälint (L’Exposé de la Signification), le commentaire du Dhammasangani écrit par Buddhaghosa.

J’ai également utilisé l’Abhidhammattha Sangaha, une encyclopédie sur l’Abhidhamma, écrite par Anuruddha”. Ces travaux m'ont beaucoup aidé pour l’étude de l’Abhidhamma lui- même, du Dhammasangani et de certains autres livres de l’Abhidhamma que j’ai progressivement acquis plus tard.

Les commentaires donnent une explication détaillée et une nomenclature des différents moments de consciences (des différents cittas) qui remplissent chacune leur propre fonction dans les différents processus des consciences qui connaissent un objet par l’une des cinq portes des sens ou par la porte du

* Pour un résumé de leur contenu, voir : Guide pour l’Abhidhamma Pitaka, par le Vénérable Nyanatiloka.

2 Cet ouvrage a été composé entre le 8e et le 12e siècle apr. J.-C. Il a été traduit en anglais et publié par la Pal Text Society sous le titre de «Compendium of Philosophy », et par le Vén. Närada, Colombo, sous le titre « Un manuel de l’Abhidhamma ». Il a également été traduit par le Vénérable Bikkhu Bodhi sous le titre « Manuel complet de l’Abhidhamma ». De plus, il a été traduit avec son commentaire comme « Résumé des sujets de l’Abhidhamma » et « Exposé sur des points de l’Abhidhamma », par R.P. Wijeratne et Rupert Gethin.

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Préface

psychisme. Bien que tous les détails concernant les processus de consciences ne puissent être trouvés dans les Écritures elles- mêmes, les commentaires sont solidement fondés sur ces dernières. L’essence des sujets expliqués dans les commentaires se trouve dans les Écritures. Le Dhammasangani, un exposé analytique des réalités, énumère les différentes consciences qui se manifestent dans les différents processus. Le Vibhañga, dans « Analyse des éléments », fait référence aux consciences exécutant leurs fonctions dans les processus et, de plus, le Patthäna mentionne les processus de consciences dans le cadre de certaines conditions qu’il traite. On peut ajouter que le Patisambhidämagga (Khuddaka Nikäya) mentionne (1, Traité de la Connaissance, au chapitre XVII sous « Caractéristique de la Conscience » (Viññana cariya), les différentes fonctions des consciences (des cittas) dans un processus. J’espère que ces quelques références démontreront que la commentatrice n’a pas donné son opinion personnelle mais a été fidèle à la tradition des Écritures originelles.

Dans les quatre derniers chapitres, j’explique les consciences qui réalisent les absorptions (les jhanas) ainsi que celles qui réalisent l’illumination. Certains lecteurs pourront se demander pourquoi ils doivent connaître ces sujets en détail. Il est utile d'étudier en détail les étapes d’absorption et les étapes d’illumination parce que les gens peuvent s’en faire une idée fausse. L’étude de l’Abhidhamma aidera à ne pas se leurrer sur ces réalités. De plus, cela aidera à comprendre les discours (les suttas) qui font souvent référence aux étapes d’absorption ainsi qu’à ceux de la réalisation de l’illumination.

J’ai ajouté quelques questions en fin des chapitres pour aider le lecteur à réfléchir sur ce qu’il a lu.

Le regretté Bhikkhu Dhammadharo (Alan Driver) et aussi M. Jonothan Abbott m'ont apporté des corrections et des suggestions des plus utiles pour le texte de la première édition de ce livre. Je tiens aussi à remercier la « Fondation pour l’étude et le rayonnement du Dhamma » et à l’éditeur Alan Weller qui ont rendu possible la troisième édition de ce livre.

Nina van Gorkom

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1 Les quatre paramattha dhammas Les quatre phénomènes ultimes.

Il existe deux sortes de réalités : les phénomènes psychiques (les nämas) et les phénomènes matériels (les rüpas); les phénomènes psychiques sont capables de connaître un objet ; les phénomènes matériels ne connaissent absolument rien. Ce que nous prenons pour « moi » n’est en réalité qu’un composé de phénomènes psychiques et de phénomènes matériels qui apparaissent puis disparaissent à chaque instant. Le Visuddhimagga (ou «Le Chemin de la Purification », un commentaire du canon päli) l’explique ainsi (Ch. XVII, 25) :

« De même que lorsque les pièces sont assemblées

On parle d’une charrette,

De même lorsque les groupes d’existence (les khandhas) sont

présents

On parle d’un “être” dans le langage commun. »

Ainsi, ce dont 1l est question dans ces centaines de discours (de suttas) n’est rien d’autre que la combinaison de phénomènes matériels et de phénomènes psychiques ; on ne peut pas parler d’êtres ou d'individus. On peut parler d’une « charrette » pour désigner un assemblage de composants tels que roues, moyeu, timon, caisse... mais au sens le plus profond, ultime, quand chaque composant est examiné séparément, on ne trouve nulle part de quelconque charrette. De même pour une personne ; on peut parler d’un «être» pour désigner l’assemblage des composants que sont les cinq groupes d’existence (les cinq khandhas), mais si l’on observe chacun de ces groupes d’existence, on ne trouve nulle part de base solide pour confirmer l’existence d’un « moi ». Au sens de la réalité intrinsèque, absolue, il y a seulement des phénomènes matériels et des phénomènes psychiques. Cette vision des choses est appelée la vue juste.

Tous les phénomènes à l’intérieur comme à l’extérieur de nous-mêmes ne sont que phénomènes psychiques (nämas) et phénomènes matériels (rüpas) qui apparaissent et disparaissent à chaque moment: 1ils sont fugaces. Les phénomènes psychiques et les phénomènes matériels sont des phénomènes ultimes (des paramattha dhammas). Nous pouvons connaître leurs caractéristiques par expérience, quel que soit le

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nom que nous leur donnons ; nous ne sommes pas obligés de parler de phénomènes psychiques n1 de phénomènes matériels. Ceux qui ont progressé dans la « vision pénétrante » peuvent les découvrir tels qu’ils sont réellement, fugaces et dénués de « moi », d’entité-ego. Voir, entendre, sentir, goûter, toucher, penser. tous ces phénomènes psychiques sont fugaces. Nous avons l’habitude de penser qu’il y a un « moi » qui accomplit ces différentes fonctions, comme voir, entendre ou penser, mais alors est donc ce « moi »? Est-il l’un de ces phénomènes psychiques ? Plus nous connaissons par expérience les caractéristiques des différents phénomènes psychiques et des différents phénomènes matériels et plus nous réalisons que le « moi » n’est qu’un concept : ce n’est pas un phénomène ultime (un paramattha dhamma).

Les nämas sont les phénomènes psychiques. Les rüpas sont les phénomènes matériels. Les phénomènes psychiques et les phénomènes matériels sont des réalités totalement différentes. Si nous ne parvenons ni à les distinguer les uns des autres n1 à découvrir leurs caractéristiques, alors nous continuerons de les considérer comme étant « moi ». Par exemple, entendre est un phénomène psychique : il n’a ni forme n1 apparence, 1l n’a pas d'oreilles. Entendre est une chose différente du sens —de l'organe auditif mais, pour entendre, ce dernier est une condition nécessaire. Un phénomène psychique qui entend connaît le son. Le sens —l'organe- auditif et le son sont des phénomènes matériels et ne connaissent rien; c’est en cela qu'ils sont différents du phénomène psychique qui entend. Si nous ne réalisons pas qu’une conscience auditive, le sens l'organe- auditif et un son constituent des réalités distinctes, nous continuerons de croire que c’est « moi » qui entends.

Le Visuddhimagga (XVIIL 34) l'explique :

« En outre, un phénomène psychique n’a pas la capacité d’agir seul :il ne mange pas, ne boit pas, ne parle pas et ne change pas de posture.

Un phénomène matériel n’a pas non plus la capacité d’agir seul, car il ne désire ni manger, ni boire, ni parler, ni changer de posture. Un phénomène psychique agit avec l’aide d’un phénomène matériel et, inversement, un phénomène matériel agit avec l’aide d’un

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

phénomène psychique :quand un phénomène psychique désire manger, boire, parler ou changer de posture, un phénomène matériel mange, boit, parle ou change de posture. »

Un peu plus loin, nous lisons (XVIII, 36) :

« De même que les hommes dépendent d’un navire pour traverser la mer, de même un corps psychique dépend d’un corps physique.

Comme un navire qui dépend des hommes, un corps physique dépend d’un corps psychique.

En interdépendance, navire et hommes vont sur la mer. De même, psychisme et matérialité dépendent l’un de l’autre. »

Il existe deux sortes de phénomènes psychiques (de nämas) conditionnés :les consciences (les cittas) et les activités psychiques (les cetasikas), ces dernières apparaissant en même temps que les consciences. Ces phénomènes psychiques apparaissent quand les conditions sont réunies pour ensuite disparaître.

Une conscience (un citta) est ce qui connaît un objet. Chaque conscience possède son propre objet (son propre arammana). Connaître un objet ne signifie pas forcément penser à cet objet. Une conscience qui voit a ce qui est visible comme objet; cet instant de conscience est distinct de toute conscience qui apparaît par la suite, comme les consciences qui connaissent l’objet qui vient d’être vu et qui y pensent. Une conscience qui entend (une conscience auditive) a un son pour objet. Même quand nous dormons, et même en l’absence de rêves, il y a toujours une conscience qui connaît un objet. Il ne peut exister de conscience sans objet. Il existe un grand nombre de consciences différentes que l’on peut classer de plusieurs façons.

Certaines consciences sont dites habiles, karmiquement bénéfiques (kusala), d’autres sont dites malhabiles, karmiquement néfastes (akusala). Les consciences bénéfiques comme les consciences néfastes sont des instants de consciences qui sont des causes :elles peuvent être la cause d’actes bénéfiques ou d’actes néfastes par le corps, par la parole ou par la pensée. Certaines consciences sont des résultats karmiques soit bénéfiques soit néfastes : on les nomme en päli vipäkacittas. D’autres consciences ne sont, au contraire, ni causes ni résultats

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

karmiques : on parle alors de kiriyacittas (terme parfois traduit par « consciences inopérantes »!').

Les consciences (les cittas) peuvent être classées en fonction de leur « naissance » ou « nature » (de leur jati). Il existe quatre sortes de « naissances » ou « natures » (4 jätis) :

e bénéfiques (kusala) e néfastes (akusala)

e résultats karmiques (vipakas) e ‘ni causes ni résultats” (kiriya)

Tout résultat d’acte intentionnel bénéfique (tout kusala vipäka) et tout résultat d’acte intentionnel néfaste (tout akusala vipäka) n’ont en fait tous deux qu’une seule nature, la nature de résultat d’acte intentionnel (le vipäka jati).

Il est important de savoir de quelle nature (de quel jati) relève une conscience. Nous ne pouvons pas améliorer ce qui est bénéfique (kusala) dans notre vie si nous prenons ce qui est néfaste (akusala) pour bénéfique, ou confondons une conscience néfaste (un akusala citta) avec un résultat karmique (un vipäaka). Par exemple, lorsque nous entendons des mots déplaisants à notre encontre, l’instant de conscience nous connaissons le son (une conscience auditive) est le résultat (le vipaka) d’un acte intentionnel néfaste que nous avons accompli dans le passé. Mais la colère qui remplace immédiatement cette conscience sera non pas un résultat Kkarmique (un vipaka), mais une activité psychique (un cetasika) accompagnant une conscience néfaste (un akusala citta). I nous est possible d’apprendre à faire la distinction entre ces consciences en découvrant ce qui les différencie les unes des autres.

Les consciences sont parfois classifiées en fonction des plans (des bhumis). Il existe en effet plusieurs plans de consciences. Le plan des consciences sensorielles (des kämävacara cittas) est celui des consciences qui connaissent des contacts sensoriels, celui dans lequel opèrent les différents sens: vue, ouïe, odorat, goût et toucher. En fonction des objets plaisants et déplaisants connus * Dans le chapitre 3 et les suivants, j’expliquerai plus en détail les notions akusala, kusala, vipäka et kiriya.

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

par ces différents sens, des consciences bénéfiques et des consciences néfastes se produisent. Il existe d’autres plans de consciences qui ne connaissent pas de contacts sensoriels. Ceux qui progressent dans la pratique de la concentration de tranquillité (de samatha) et des absorptions (des jhänas) réalisent les consciences d’absorption (les jhänacittas). Les consciences d’absorption sont d’un autre plan de consciences car elles ne connaissent pas de contacts sensoriels. Une conscience de compréhension profonde supramondaine (Un lokuttara citta) est le plan de consciences le plus élevé, puisque c’est une conscience qui connaît directement le nibbäna.

Il existe encore bien d’autres façons de classifier les consciences (les cittas), et si l’on inclut leurs différentes intensités, cela fait encore plus de variantes. Par exemple, les consciences néfastes (les akusala cittas) qui ont leur racines dans l’avidité (/obha), dans la colère (dosa) ou dans l’ignorance (moha) peuvent se produire avec plus ou moins d’intensité de nuisance (d’akusala) et, en fonction de celle-ci, être la cause ou non d’actions. Il en est de même pour les consciences bénéfiques. Il est utile de connaître ces différentes classifications de cette façon à découvrir les divers aspects des consciences. Il y a au total quatre-vingt-neuf sortes de consciences (ou cent vingt et un, suivant la classification retenue”). Si nous développons notre connaissance des caractéristiques des consciences et si nous sommes attentifs à ces moments de consciences lorsqu'ils se produisent, alors nous aurons moins tendance à les prendre pour « MOI ».

Les activités psychiques (les cetasikas) constituent le deuxième type de phénomène ultime (le deuxième paramattha

? Les consciences sont classées en 121 sortes lorsque l’on prend en compte les consciences de compréhension profonde supramondaine (les lokuttara cittas) de ceux qui ont cultivé la concentration de tranquillité (le samatha) et la vision pénétrante (le vipassanä) et qui ont réalisé l’illumination avec des consciences d’absorption supramondaine (des lokuttara jhänacittas) qui ont pour base -ou fondement les facteurs d’absorption (de jhäna) des différents états d’absorption. Cela sera expliqué dans le chapitre 23.

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

dhamma) classé comme phénomène psychique (comme näma). Comme nous l’avons vu précédemment, toute conscience (tout citta) connaît un objet : une conscience visuelle a ce qui est visible pour objet, une conscience auditive a un son pour objet, une conscience qui pense a une pensée pour objet. Mais une conscience n’est Jamais seule, car des activités psychiques (des cetasikas) accompagnent chaque instant de conscience. Nous pouvons penser à quelque chose à un moment donné en ayant en nous soit de la colère, soit un ressenti agréable, soit une compréhension profonde (pañña). Une colère, un ressenti agréable ou une compréhension profonde sont des phénomènes psychiques qui ne sont pas des consciences mais des activités psychiques qui accompagnent les différentes consciences. II ne peut exister qu’une seule conscience à la fois, mais plusieurs activités psychiques accompagnent chaque conscience, apparaissant et disparaissant en même temps que celle-ci. Une conscience n’apparaît jamais seule. Par exemple, un ressenti (un vedanä) est une activité psychique qui apparaît avec chaque conscience. Une conscience ne fait que purement et simplement connaître un objet : une conscience ne peut pas ressentir. Mais un ressenti a la fonction de ressentir. Un ressenti peut être agréable ou désagréable. Même quand nous ne ressentons ni plaisir n1 douleur, il y a toujours un ressenti : ce ressenti est alors neutre —ou ni-agréable-ni-désagréable. Un ressenti est toujours présent :1l n’y a pas un instant de conscience (de citta) sans ressenti. Par exemple, quand une conscience visuelle se produit, un ressenti se produit avec cette conscience. Une conscience visuelle ne fait que détecter la présence d’un objet visuel, on ne peut pas encore parler de ressenti agréable ou désagréable à cette étape du processus: le ressenti qui accompagne ce moment de conscience n’est ni-agréable-ni-désagréable. Une fois la conscience visuelle disparue, d’autres consciences apparaissent, certaines pouvant ne pas aimer l’objet vu. Dans ce cas, le ressenti qui accompagne ce dernier type de conscience est désagréable. La fonction d’une conscience est de connaître un objet; une conscience est le «chef de la cognition ». Les activités psychiques (les cetasikas) partagent le même objet que la conscience qu’elles accompagnent, mais leur fonction et leurs

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

caractéristiques leur sont propres. Certaines activités psychiques apparaissent systématiquement avec chaque conscience et d’autres ne le font qu’occasionnellement’.

Nous venons de voir qu’un ressenti (un vedana) est une activité psychique (un cetasika) qui apparaît avec chaque conscience (chaque citta). Un contact (phassa) est une autre activité psychique qui accompagne également chaque instant de conscience : un phassa est « l’entrée en contact » avec l’objet pour qu’une conscience puisse connaître celui-ci. Une perception-reconnaissance (un sañña) est aussi une activité psychique qui apparaît avec chaque conscience. Dans le Visuddhimagga (XIV, 130), nous lisons qu’une perception- reconnaissance a pour fonction de reconnaître :

«Sa fonction est de faire une marque comme condition pour reconnaître à nouveau que “c’est identique”, comme le font les charpentiers, etc. avec du bois. »

Une conscience se borne à connaître purement et simplement un objet, mais ne le «marque» pas. Une perception- reconnaissance, elle, marque l’objet afin que celui-c1 puisse être reconnu plus tard. Chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose, c’est une perception-reconnaissance (un sañña), et non «moi» qui intervient C’est une perception- reconnaissance, par exemple, qui se rappelle que cette couleur est rouge, que ceci est une maison, ou que ce son est celui d’un oiseau.

Il existe également des activités psychiques qui n'apparaissent pas avec chaque conscience. Les activités psychiques néfastes (les akusala cetasikas) apparaissent seulement avec une conscience néfaste (un akusala citta). Les activités psychiques élevées (les sobhana cetasikas*) apparaissent

? Il y a sept activités psychiques (7 cetasikas) qui apparaissent

systématiquement avec chaque conscience (chaque citta).

* Voir le chapitre 19 pour la signification de sobhana. Les

consciences élevées (les sobhana cittas) comprennent non seulement

les consciences bénéfiques (les kusala cittas), mais aussi les

consciences de résultat karmique (les vipakacittas) et les consciences

‘ni causes ni résultats’ (les kiriyacittas) quand ces trois types de 21

L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

seulement avec une conscience élevée (un sobhana cittas). L’avidité (Lobha), la colère (dosa) et l’ignorance (moha) sont des activités psychiques néfastes qui n’apparaissent qu'avec une conscience néfaste. Par exemple, quand nous voyons quelque chose de beau, des consciences accompagnées d’avidité pour ce que nous avons vu peuvent apparaître. C'est qu'à cet instant l'activité psychique de l’avidité se manifeste avec cette conscience. L’activité psychique de l’avidité a pour fonction de convoiter. Il y a encore d’autres activités psychiques qui se manifestent avec les consciences néfastes, comme la vanité (mana), les croyances erronées (difthi), la jalousie (issa). Les activités psychiques élevées qui accompagnent les consciences élevées sont, par exemple, la générosité désintéressée (alobha), la bienveillance sans réserve (adosa), la compréhension profonde (amoha pañña). Quand nous sommes généreux, la générosité désintéressée et la bienveillance sans réserve se manifestent en même temps que des consciences bénéfiques. La compréhension profonde peut également se manifester avec des consciences bénéfiques, ainsi que d’autres activités psychiques élevées. Les souillures psychiques tout comme les qualités bénéfiques sont des activités psychiques, elles ne sont pas « moi ». On compte cinquante-deux activités psychiques différentes.

Les consciences (les cittas) et les activités psychiques (les cetasikas) sont des phénomènes psychiques (des naämas), mais présentent des caractéristiques distinctes. On peut légitimement se demander comment les activités psychiques peuvent être observées. Quand nous notons un changement de consciences, nous pouvons observer une caractéristique d’activité psychique. Par exemple, quand des consciences néfastes (des akusala cittas) accompagnées d’avarice apparaissent après que des consciences bénéfiques (des kusala cittas) accompagnées de générosité ont disparu, alors nous pouvons observer ce changement. L’avarice et la générosité sont des activités psychiques qui peuvent être observées et qui possèdent des caractéristiques distinctes. Nous

consciences sont accompagnés d’activités psychiques élevées (de sobhana cetasikas).

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

pouvons observer de la même façon le passage d’une avidité à une colère, ou celui d’un ressenti agréable à un ressenti désagréable. Un ressenti est une activité psychique que nous observons car 1l est parfois prédominant et nous pouvons aussi savoir par expérience qu’il existe différentes sortes de ressentis. Par exemple, un ressenti désagréable est différent d’un ressenti agréable qui lui-même diffère d’un ressenti neutre. Toutes ces activités psychiques apparaissent avec une conscience pour disparaître immédiatement avec cette conscience. Progresser dans la découverte des caractéristiques des consciences et de celles des activités psychiques nous aidera à voir de plus en plus clairement les choses telles qu’elles sont réellement.

Étant donné que les consciences et les activités psychiques apparaissent les unes avec les autres, 1l est difficile de connaître leurs caractéristiques respectives. Le Bouddha en était capable parce que sa compréhension profonde (pañña) était immense. Nous lisons dans Les Questions du roi Milinda (Livre III, chapitre 7, 87)” que le moine Nagasena dit au roi Milinda :

« Le Bienheureux a fait une chose difficile. » « Laquelle ? » « La chose difficile qui a été faite par le Bienheureux, est d’avoir classifié tous ces différents états psychiques qui dépendent de chaque organe des sens : les contacts, les ressentis, les perceptions-reconnaissances, les 50 activités psychiques, les consciences. » « Donnez-moi une comparaison. » « Si un homme sautait d’une barque dans la mer, prenait de l’eau dans sa main et y goûtait, pourrait-il reconnaître l’eau du Gange, celle de la Yamuna, de l’Acivarati, de la Sarabhu, de la Mahi ? » « C’est impossible. » « Le Bienheureux a fait une chose bien plus difficile en identifiant séparément ces différents états psychiques qui dépendent de chaque organe des sens. »

Les consciences (les cittas) et les activités psychiques (les cetasikas) Sont des phénomènes ultimes (des paramattha dhammas) ayant leur singularité, leur caractéristique spécifique. Ces caractéristiques peuvent être connues par expérience, peu importe le nom que nous leur donnons. Les phénomènes ultimes (les paramattha dhammas) ne sont n1 des mots ni des concepts, ce

° J'utilise la traduction anglaise de T.W. Rhys Davids, Partie I, Dover Publications, New York.

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

sont des réalités. Les ressentis agréables et les ressentis désagréables sont réels, leurs caractéristiques peuvent être connues par expérience sans que nous ayons besoin de les nommer «ressentis agréables » ou « ressentis désagréables ». Une colère est réelle et peut être connue par expérience lorsqu'elle apparaît.

En plus des phénomènes psychiques, 1l existe les phénomènes matériels. Les phénomènes matériels (les rüpas) représentent la troisième sorte de phénomènes ultimes. encore, 1l existe plusieurs sortes de phénomènes matériels°, chacune ayant ses caractéristiques spécifiques. On compte quatre phénomènes matériels de base, encore appelés Éléments Primordiaux (mahä-bhüta-rüpas).

Ce sont :

e L’élément terre, ou la solidité (connaissable par la dureté ou l’élasticité)

e L’élément eau, ou la cohésion,

e L’élément feu, ou la température (connaissable par le chaud ou le froid)

e L'élément vent, ou le mouvement (connaissable par la vibration ou le mouvement)

Ces « Éléments Primordiaux » sont les phénomènes matériels (les rüpas) basiques qui se manifestent avec tous les autres éléments que constituent les phénomènes matériels dérivés (les upädä-rüpas). Les phénomènes matériels ne se manifestent jamais seuls mais en groupes —-ou ensembles. Il y a au moins huit sortes de phénomènes matériels qui se manifestent obligatoirement les uns avec les autres. Par exemple, chaque fois qu’un phénomène matériel de température se manifeste, la solidité, la cohésion, le mouvement et d’autres éléments matériels se manifestent également. Quant aux phénomènes matériels dérivés, ce sont par exemple les organes du sens visuel, du sens auditif, du sens olfactif, du sens gustatif et du

° Il existe en tout vingt-huit classes de phénomènes matériels (de

rüpas).

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

sens somatosensoriel —ou corporel, et les objets de ces organes: le domaine visuel, le son, les odeurs, les saveurs...

Les différentes caractéristiques des phénomènes matériels (des rüpas) peuvent être connues par les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le système somatosensoriel et le psychisme. Ces caractéristiques sont réelles puisqu'elles peuvent être connues par expérience. Nous utilisons des termes conventionnels, relatifs, comme « corps » ou « table ». Un corps et une table ont tous deux la caractéristique de la dureté, qui peut être connue directement par le toucher. De cette façon, nous pouvons constater que la caractéristique de la dureté est la même, peu importe qu’il s’agisse d’une table ou d’un corps. La dureté est un phénomène ultime (un paramattha dhamma). « Corps » et « table » quant à eux ne sont pas des phénomènes ultimes, mais de simples concepts. Nous croyons que le corps demeure permanent et le prenons pour «moi», mais ce que nous appelons un «corps» n’est rien d’autre que différents phénomènes matériels qui apparaissent et disparaissent. Ce terme de «corps» peut nous éloigner des réalités. Nous connaîtrons les réalités si nous apprenons à connaître par expérience les caractéristiques des phénomènes matériels quand ils se manifestent.

Consciences (cittas), activités psychiques (cerasikas) et phénomènes matériels (rüpas) n’apparaissent que lorsque les conditions sont réunies : ce sont des phénomènes conditionnés (des sankhära dhammas’). Une conscience visuelle ne peut apparaître en l’absence de système visuel ou d’objets visuels. Un système visuel et des objets visuels sont des conditions nécessaires. Un son ne peut apparaître que si les conditions nécessaires sont réunies. Et une fois apparu, il disparaît. Tout ce qui apparaît en dépendance de conditions disparaît une fois que

7 Les sañkhära dhammas sont des phénomènes conditionnés qui

apparaissent en fonction les uns des autres. Le terme pali « sañkhata » est également utilisé. Sañkhata signifie ce qui a été assemblé, formé par une combinaison de facteurs. Un sañkhata dhamma est ce qui est apparu à cause de conditions.

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

les conditions elles-mêmes ont disparu. On peut pourtant objecter qu’un son possède une durée. Mais en réalité, ce que nous prenons pour un son long, qui dure, n’est qu’une suite de phénomènes matériels se remplaçant les uns les autres.

Le quatrième phénomène ultime (le quatrième paramattha dhamma) est le nibbäna. Le nibbäna est un phénomène ultime (un paramattha dhamma) parce qu’il est réel. Le nibbäna peut être connu par la porte du psychisme si l’on suit le Noble Chemin, c’est-à-dire si l’on progresse dans la compréhension profonde (pañña) qui voit les choses telles qu’elles sont. Le nibbäna est un phénomène psychique (un nama). Mais le nibbäna est différent des consciences et des activités psychiques qui sont aussi des phénomènes ultimes, mais ces dernières apparaissent lorsque les conditions sont réunies pour ensuite disparaître. A contrario, le nibbäna est une réalité non conditionnée”: c’est pourquoi le nibbäna n’apparaît pas ni ne disparaît. Les consciences et les activités psychiques sont des phénomènes qui connaissent des objets. Le nibbäna est un phénomène psychique (un näma) qui ne connaît aucun objet, mais le nibbäna lui-même est l’objet des consciences et des activités psychiques qui le connaissent. Le nibbäna n’a rien d’une personne, d’une entité-ego ou d’un « moi » (est anatta).

Pour résumer, les phénomènes ultimes (les paramattha dhammas) sont répartis en quatre classes :

e Les consciences (les ciftas)

e Les activités psychiques (les cetasikas) e Les phénomènes matériels (les rüpas) e Le nibbäna

Quand nous étudions le Dhamma, il est essentiel de savoir à quelle classe de phénomène ultime appartient tel ou tel phénomène actuel. Car si nous ne le savons pas, nous pouvons être induits en erreur par les termes des conventions culturelles.

$ En pali : asañkhata : non conditionné, l’opposé de sañkhata. Dans

le Dhammasangani le nibbäna est dénommé asañkhatä dhätu, l’élément inconditionné. Parfois on utilise le terme visañkhära dhamma, le phénomène qui n’est pas sañkhära (vi est une négation).

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Chapitre 1 - Les quatre paramattha dhammas

Nous devons par exemple savoir que ce que nous appelons un

«corps» n’est en fait qu’un assemblage de différents

phénomènes matériels qui sont des phénomènes ultimes (des

rüpa paramattha dhammas) et que le corps ne comporte ni consciences n1 activités psychiques. Nous devons aussi savoir que le nibbäna n’est ni une conscience ni une activité psychique, mais que c’est le quatrième phénomène ultime (le paramattha dhamma). Le nibbäna est la cessation de tous les phénomènes conditionnés qui, eux, apparaissent et disparaissent.

Pour l’arahat, le parfait, après la mort il n°y a plus de naissance,

plus aucun phénomène psychique ni aucun phénomène matériel

qui apparaît et disparaît.

e Tous les phénomènes conditionnés, à savoir les consciences, les activités psychiques et les phénomènes matériels sont fugaces (anicca).

e Tous les phénomènes conditionnés sont souffrance, insatisfaction (dukkha), car fugaces.

e Tous les phénomènes (les dhammas) sont dénués d’un «moi», d’une entité-ego (anatta), comme l’énonce la formule en pali : « sabbe dhamma anatta » (Dhammapada, verset 279).

Ainsi, les phénomènes conditionnés, à la différence du nibbäna, sont fugaces (anicca) et souffrance (dukkha). Mais tous les phénomènes, c’est-à-dire les quatre phénomènes ultimes (les 4 paramattha dhammas), Y compris le nibbäna, sont dénués de « moi », d’entité-ego (anatta).

Questions

1. Quelle est la différence entre un phénomène psychique (un näma) et un phénomène matériel (un rüpa) ?

2. Quelle est la différence entre une conscience (un citta) et une activité psychique (un cetasika) ?

3. Les activités psychiques connaissent-elles un objet ?

4. Est-ce que plus d’une activité psychique apparaît avec une conscience ?

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

5. Le nibbäna peut-il connaître un objet ? 6. Le nibbana est-il un « moi », une entité-ego ?

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2 Les cinq khandhas

Les cinq groupes (agrégats) d’existence.

Le Bouddha a découvert la réalité de tous les phénomènes et la caractéristique de chacun d’entre eux par sa propre expérience. Par compassion, 1l a enseigné aux autres comment voir la réalité de différentes manières afin qu’ils aient une compréhension plus profonde des phénomènes en eux-mêmes et autour d’eux. Quand les réalités sont classées par phénomènes ultimes (par paramattha dhammas), elles sont classées ainsi :

e Les consciences (les cittas)

e Les activités psychiques (les cetasikas) e Les phénomènes matériels (les rüpas) e Le nibbäna

Les consciences, les activités psychiques et les phénomènes matériels sont des phénomènes conditionnés (des sañkhara dhammas). IIS apparaissent et disparaissent à cause de conditions; ils sont fugaces. Le nibbäna en tant que phénomène ultime est une réalité inconditionnée (un asañkhata dhamma) ; il n’apparaît pas et ne disparaît pas. Les quatre phénomènes ultimes sont dénués de « moi », d’entité-ego (anattà).

Les consciences, les activités psychiques et les phénomènes matériels, c’est-à-dire tous les phénomènes conditionnés, peuvent être classés dans les cinq khandhas. Khandha signifie « groupe ou agrégat d’existence et d’attachement ». Ce qui est classé comme groupe d’existence se manifeste à cause de conditions et disparaît. Les cinq groupes d’existence ne sont pas différents des trois phénomènes ultimes (des trois paramattha dhammas) à savoir les consciences, les activités psychiques et les phénomènes matériels. Les réalités peuvent être classées de différentes manières et des noms différents leur sont donc attribués. Les cinq groupes d’existence sont :

e Le groupe d’existence des phénomènes matériels (des rüpas)

(Le rüpakkhandha)

e Le groupe d’existence des ressentis (des vedanas) (Le vedanäkkhandha)

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L’Abhidhamma dans la vie quotidienne

e Le groupe d’existence des perceptions-reconnaissances (des saññas) (Le saññakkhandha)

e Le groupe d’existence des autres activités psychiques (50 cetasikas) (Le sañkhärakkhandha).

e Le groupe d’existence des consciences (des cittas) (89 ou

121) (Le viññanakkhandha)

En ce qui concerne les cinquante-deux sortes d’activités psychiques (les 52 cetasikas) qui peuvent apparaître avec les consciences, celles-ci sont classées dans trois groupes d’existence : l’activité psychique des ressentis (des vedanas) est classifiée dans le groupe d’existence des ressentis (le vedanäkkhandha) ; l’activité psychique des perceptions- reconnaissances (des saññas) est classée dans celui des perceptions-reconnaissances (le saññakkhandha) ; en ce qui concerne les cinquante autres activités psychiques, elles sont toutes classées dans un seul groupe d’existence, celui des activités psychiques (le sañkhärakkhandha). Par exemple, y sont incluses l’intention (cetana), l’avidité (/obha), la colère (dosa), l’ignorance (moha), la bienveillance sans réserve (metta), la générosité désintéressée (alobha), la compréhension profonde (pañña). Toutes les souillures psychiques ainsi que toutes les qualités bénéfiques sont incluses dans ce groupe d’existence des 50 activités psychiques et elles sont fugaces et dénuées de « moi », de substance propre. Sañkhärakkhandha est parfois traduit par groupe des « activités » ou « formations » mentales”.

En ce qui concerne les consciences (les cittas), elles sont toutes classées dans un groupe d’existence (un khandha) : le viññaänakkhandha. Les termes palis viññaäana, mano et citta désignent la même réalité : ce qui a la fonction de connaître un objet. Quand une conscience est classée dans un groupe

1 Voir le chapitre 1.

? Le terme sañkhara a différentes significations selon les différents contextes. Sañkhära dhamma comprend tous les phénomènes conditionnés. Le sañkhärakkhandha comprend cinquante activités psychiques (50 cefasikas).

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Chapitre 2 - Les cinq khandhas

d’existence, on utilise le terme vifñana. Ainsi, un groupe d’existence comprend tous les phénomènes matériels (le rüpakkhandha) et les quatre autres incluent tous les phénomènes psychiques (les 4 nämakkhandhas). Pour résumer, trois des groupes d’existence de phénomènes psychiques comprennent les activités psychiques (les cetasikas) et le quatrième comprend les consciences (les ciftas).

Tout phénomène d’un groupe d’existence (d’un khandha) ne dure pas car, aussitôt apparu, il disparaît. Bien que les groupes d’existence apparaissent et disparaissent, ils sont réels ; nous pouvons les connaître par expérience quand ils se manifestent. Le nibbäna, le phénomène (le dhamma) inconditionné qui n'apparaît pas et ne disparaît pas n’est pas un groupe d’existence.

Le Visuddhimagga (XX, 96) explique ainsi l’apparition et la disparition des phénomènes psychiques (des namas) et des phénomènes matériels (des rüpas) :

Il n’y a pas de réserve seraient stockés les phénomènes psychiques ou les phénomènes matériels (qui existeraient) avant leur apparition. Quand ils apparaissent, ils ne proviennent d’aucune réserve ; et quand ils disparaissent, ils ne vont dans quelque direction que ce soit. Il